Mon fidèle Lonely planet ne disait à peu près rien sur la vallée de Pshart si ce n’est que c’était « une vallée photogénique avec quelques campements de yourtes ». J’aurais voulu en savoir plus sur Internet, mais quand tu décides de voyager dans le Pamir au Tadjikistan, il faut faire le deuil du wi-fi. Je savais malgré tout qu’il n’y avait pas de véritable route pour s’aventurer dans cette vallée, qu’il n’y avait pas d’hôtel ou de maison pour y dormir et que la majorité des touristes ignoraient son existence. Bref, l’endroit rêvé pour moi!
Ceux qui me connaissent savent que j’ai le béguin pour les peuples isolés et la culture authentique qu’ils pratiquent. Ce n’est quand même pas pour rien que mes fesses ont souffert pendant cinq heures à dos de cheval pour aller visiter des Tsaatans en Mongolie, que je suis allé au fond du Laos pour rencontrer le peuple Akha et que j’ai marché pendant 19 jours dans le Zanskar pour rencontrer les Ladakhis (croyez-moi, ça en valait vraiment la peine!).
Apprendre que dans la vallée de Pshart vivent des Kirghizes avec leur bétail pour l’été me séduit au plus haut point. Il n’en faut pas plus pour que je commence à discuter avec le gérant de l’hôtel de Murghab pour me trouver quelqu’un pour m’y conduire.
On jase, on négocie, il fait quelques appels téléphoniques et on finit par dénicher quelqu’un qui veut bien m’amener là où je ne connais à peu près rien.
Un jeune gaillard au volant d’une Passat qui doit faire le double de son âge se pointe. Avec le gérant de l’hôtel comme interprète, on s’entend pour qu’il me conduise à un campement de yourtes dans la vallée puis qu’il m’y reprenne le lendemain.
On s’aventure donc à 30 kilomètres à l’heure sur une route qui n’existe pas vraiment. Je sens la suspension de la vieille minoune souffrir pendant que la musique moderne d’Asie centrale joue à plein volume. Parfait pour me rappeler que je suis en 2016, mais que je m’apprête à vivre une culture figée dans le temps.
Mon livre de voyage ne m’a pas menti. La vallée de Pshart est effectivement photogénique. Les montagnes colorées en rouge et en jaune se marient avec le vert du gazon qui y pousse difficilement. Quelques traces de neige par ici et par là, une eau translucide qui coule au centre de la vallée, quelques yourtes éparpillées au loin (ou des jailoos comme ils les appellent ici). Un vrai paysage de carte postale qui me rappelle un peu mon périple en Mongolie.
Après une heure de route, un campement de 5 yourtes se dessine dans le creux de la vallée. Nous rejoignons l’une d’entre-elles, le bruit de la voiture fait sortir le maître de la « maison » de sa yourte.
« Assama leykum » dis-je avec le pire des accents…
« Malekum assalam » reçois-je comme réponse (c’est bon signe!).
Je sors mes compétences de mimes et je tente d’expliquer que j’aimerais passer la journée et la nuit chez lui avec sa famille dans sa yourte. Mon chauffeur m’aide un peu, tout le monde sourit! On se comprend finalement!
Tradition d’hospitalité kirghize oblige, je suis d’abord reçu avec une tasse de thé. Du zelyony en plus (thé vert), mon préféré! Avec du pain, du beurre de yak, du yogourt de la même bête et du sucre, cette petite collation me remplit bien. Malgré la barrière de la langue, nous faisons du mieux que nous le pouvons les présentations d’usages. Je fais donc connaissance avec ma nouvelle famille qui comprend trois générations sous le même toit : le père de mon hôte, mon hôte lui-même, sa femme et leurs cinq enfants. En me comptant, nous serons neuf dans l’unique pièce de la yourte cette nuit. J’espère que personne ne ronfle!
De l’intérieur, la yourte m’apparait gigantesque. Il n’y a aucun meuble si ce n’est qu’une armoire pour ranger la vaisselle, une bassinette dans lequel se fait bercer le petit dernier et le poêle au centre qui chauffe à la crotte de yak. Un petit panneau solaire sur le toit charge une batterie qui permet d’alimenter l’unique ampoule de la yourte et de redonner vie au téléphone cellulaire. Ici, pas de possessions inutiles.
Parmi les enfants me mon hôte, je me lie rapidement d’amitié avec Merlinbec, son fils de 12 ans. Comme son campement de yourtes est entouré de montagnes, je lui demande s’il veut bien me faire visiter les environs. Nous partons donc explorer les paysages du coin.
Avec beaucoup d’ambition, nous décidons de rejoindre la passe de Gumbezkul. À 4730 mètres, disons que ce n’est pas une petite randonnée tranquille. Bien que ça fasse 10 jours que je suis dans les montagnes du Pamir, je sens l’altitude qui me coupe le souffle. Merlinbec, lui, est frais comme une gazelle, ou comme un Marco Polo devrais-je dire (les Marco Polo sont les chèvres des montagnes du coin).
Nous atteignons finalement le col de Gumbezkul de où nous pouvons apprécier la vue sur les vallées de chaque côté. Comme le vent n’est pas timide aujourd’hui, nous resterons quelques minutes seulement après avoir pris la classique photo des « héros qui atteignent le sommet ».
En redescendant, je me fais la réflexion qu’ici, c’est un véritable terrain de jeu pour les amoureux de randonnées. Il y a des montagnes tout autour et elles n’appartiennent à personne. Libre à l’aventurier en chacun de nous de décider lesquelles gravir. La vraie liberté.
De retour au « campement de base », un thé chaud avec les produits laitiers du yak nous attendent. Si le lait de jument fermenté m’a particulièrement fait grimacer lors mon périple au Kirghizistan, celui de yak transformé en yogourt au Tadjikistan est un vrai régal. Il est crémeux à souhait et doux pour le palais. Comme il est préparé tous les jours, il est toujours frais. Après quatre heures de randonnée, il est parfait pour reprendre des forces.
Le quotidien des Kirghizes de la vallée de Pshart se résume justement à s’occuper du bétail et de transformer le précieux lait récolté. Le lait, le beurre, la crème et le yogourt sont ainsi obtenus tous les jours. Pendant que le père et la mère s’occupent ainsi des tâches ménagères, les enfants eux s’occupent les uns les autres. Ils ont les joues rouges brûlées par le froid, le vent et/ou le soleil.
Avec la nuit qui approche, le froid s’installe et il faut rajouter quelques précieuses crottes de yaks dans le poêle pour se garder au chaud. Sur ce même poêle, la femme de la maison cuisine le repas du soir. Au menu, des pâtes fraîches qu’elle a fabriquées elle-même auxquelles elle ajoute quelques bouts de viande de mouton. Bien sûr, le tout est accompagné du traditionnel nan (pain) et de beurre de yaks.
C’est en plein repas que je réalise à quel point je suis chanceux de vivre un moment culturel figé dans le temps. Nous sommes neuf assis par terre au centre d’une yourte à partager un repas et nos cultures réciproques. Je suis l’unique Occidental à plusieurs kilomètres à la ronde. Moi qui voulais sortir des sentiers battus et vivre pleinement le quotidien des Kirghizes au Tadjikistan, je suis pleinement rassasié ici.
Le ventre bien rempli, nous installons les matelas pour la nuit. Après cette journée riche en émotions fortes, je dors comme les bébés qui sont avec moi dans la yourte. C’est probablement moi qui a ronflé toute la nuit. Zzzzzzz…
Le lendemain matin, devinez ce que l’on mange pour déjeuner? Encore les produits du yak bien sûr! Avec du thé au lait de yak pour arroser le tout en plus! Décidément, cet animal au long poil est au centre du guide alimentaire des habitants du coin.
Mon séjour dans la vallée de Pshart tire à sa fin. Mon chauffeur et sa vieille Passat sont sur le point de revenir me chercher pour me ramener dans la « civilisation ». Comme dernière requête, je demande à ma famille d’accueil si je peux les prendre en photo devant leur yourte pour garder un souvenir de mon séjour parmi eux. Pour l’occasion, le grand-père met son traditionnel kalpak et enfile son plus beau veston. La famille se rassemble devant la yourte, je suis ému devant l’intensité de ce que cette scène représente pour moi. Le cliché ainsi croqué sera parfait pour me rappeler à quel point les habitants de la vallée de Pshart ont été accueillants à mon égard.
Trucs et astuces pour visiter la vallée de Pshart au Tadjikistan :
- Pour se rendre dans la vallée de Pshart, il n’y a pas de transport en commun. Oubliez également la possibilité de faire du pouce puisque vous y passerez des semaines à attendre une voiture ou un cheval pour vous déplacer. Pour ma part, j’ai organisé mon transport depuis Murghab avec le gérant de l’hôtel qui m’accueillait. J’ai déboursé 250 soms (42$ aller/retour) pour faire le trajet d’une heure de voiture.
- Quelques mots de Russe vous seront d’une grande aide pour communiquer avec vos hôtes de la vallée de Pshart. Autrement, vous devrez vous contenter de pratiquer vos mimes du mieux que vous le pouvez!
- À la fin de mon séjour, j’ai remis 100 soms (17$) à mon hôte pour son précieux accueil. Cela fût grandement apprécié.
- L’unique véritable hôtel de Murghab est le Pamir hôtel. Le gérant parle un anglais impeccable et il fera des pieds et des mains pour satisfaire toutes vos envies. C’est avec lui que j’ai négocié mon transport pour me rendre dans la vallée de Pshart.
- Pour encore plus de culture kirghize, je vous conseille chaudement mon article sur les 10 choses à faire au Kirghizistan.
- Pour consulter mes autres articles sur le Tadjikistan: